« Golden Snake », installation, 2016. Bois, plâtre moulé, dorure à la feuille. Dimensions variables. (Dialogue avec Janaina Mello à l’occasion de l’exposition « Double Je » au Palais de Tokyo à Paris.)

Mathias Kiss

Détournement de codes

Une première vie dans le compagnonnage, dans la peinture en bâtiment, la vitrerie, la restauration de monuments historiques ; une seconde vie au cœur de l’art contemporain, dans un petit monde où il a su trouver sa place. L’artiste Mathias Kiss, 45 ans, se sent aujourd’hui libre d’expérimenter tout ce qui le titille.

Comment est née votre vocation d’artiste ? Mathias Kiss : Après une quinzaine d’années dans le compagnonnage, j’ai quitté le métier avec la sensation de tourner en rond dans le milieu des monuments historiques. Les règles et pensées uniques ont la dent dure, ce métier est soumis aux diktats, nous sommes là pour la technique et un savoir-faire, pas pour penser… Et ça me manquait ! J’avais envie d’expérimenter, de créer avec un sentiment d’obligation pour casser l’isolement de nos travaux face à la société et ses mutations…

Vous côtoyez les univers de l’art, du design, de la scénographie, de la décoration, de l’artisanat… Comment vous situez-vous au milieu de tout cela ?Mathias Kiss : Pour moi, la scénographie ou l’artisanat sont des moyens de recherche, de partage et de réflexion ! Cela contribue à mon travail personnel. En revanche, je ne me retrouve pas dans le métier de designer qui, pour moi, est lié au dessin et à la fonction que je maîtrise moins. La décoration est l’art de la mise en scène du « bon goût » qui n’est pas ma démarche. Mon truc, c’est quand même la contestation d’un académisme immobile !

Quels sont vos domaines de prédilection ? Mathias Kiss : Tout ce qui est lié à l’évolution de notre société concernant la façon de vivre les arts décoratifs et leurs évolutions ; le rapport à son intérieur et sa représentativité me passionnent !

Quelles sont les clefs de votre succès ? Qu’est-ce qui a réellement boosté votre carrière ? Mathias Kiss : Rien en particulier et tout à la fois ! C’est une construction, un chemin et un message, c’est comme un mot dans une phrase, sans le reste, ça tombe à plat…Par ailleurs, je n’ai pas forcément conscience de ce « succès » ! Et surtout, je sens peu les retours du fond de mon atelier. Je ne sais pas s’il y a des clefs… Je dirais… un parcours atypique qui colle avec une époque demandant authenticité et créativité…

Votre miroir froissé a été plébiscité. Qu’évoque-t-il ? Mathias Kiss : Chez les compagnons, j’ai grandi avec un compas et une équerre, peints sur le mur de l’atelier… Ce symbole représente encore les règles et dogmes vécus pendant ces années… L’équerre, 90 degrés, le niveau… En effectuant un travail sur l’absence d’angle droit, évidemment je ne peux renier, qu’inconsciemment, j’ai voulu m’affranchir, me libérer, en coupant la tête du père, des pairs ! Les chiens ne font pas des chats… Je suis en contestation d’une culture à qui je dois tout ! Il y a environ cinq ans, j’avais réalisé et vendu les prototypes de mon travail sur l’absence d’angle droit (« Sans 90° ») à mes premiers collectionneurs, ce travail était déjà bien diffusé dans la presse… Un jour, la galeriste Armel Soyer m’a contacté grâce à son premier artiste Emmanuel Bossuet, un ami, pour me proposer de les éditer. C’était ma première galerie, elle démarrait, et c’est vrai que mon miroir s’est vite envolé !

Quelles œuvres sont, selon vous, les plus emblématiques de votre travail ? Mathias Kiss : Les deux grands « courants » sont : « Sans 90° », qui réunit le tapis Magyar, la banquette Igloo et les miroirs froissés, le tout sans angle droit ; et aussi les « Golden Snake », travail sur ce que je décris comme de l’ornementation brutaliste, libération d’éléments d’architecture habituellement en plâtre, questionnant savoir-faire et démarche artistique.

L’or tient également une place importante dans vos œuvres… Pourquoi ? Mathias Kiss : On en revient aux années où je restaurais les ors de la République, ces ors monarchiques que je m’efforce de désacraliser ! Piétiner et caricaturer !

Sur quel projet planchez-vous actuellement ? Mathias Kiss : Sur une carte blanche au Palais des Beaux-Arts de Lille. Une exposition qui devrait débuter dans un an environ.

Que rêveriez-vous de créer ? Mathias Kiss : Un plafond de Braque au Louvre ou de Chagall à l’Opéra-Garnier, Othoniel place Colette, sans m’y comparer, sont des exemples de mes fantasmes ! Je viens de la restauration de ces monuments, et y retourner libre, y apporter un bout de création contemporaine serait un moyen de délivrer un message de transmission et de pédagogie intergénérationnel et culturel fort !

www.mathiaskiss.com

Photos : © David Zagdoun

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