Katinka Lampe

Equilibres parfaitement instables

Les Pays-Bas sont le berceau d’illustres maîtres de la peinture, de Rembrandt à Vermeer. Enfant du XXe siècle, Katinka Lampe, exclusivement peintre, s’est glissée subtilement entre les glacis de ses prestigieux prédécesseurs. Elle prolonge, avec discrétion mais sans timidité, cette tradition.

Dans un quartier du sud de Rotterdam, une maison de deux étages, contemporaine, aux grandes ouvertures, contre la façade de laquelle sont appuyés deux vélos. Une grande femme, à l’allure sobre, à peine rehaussée d’un rouge aux lèvres et de baskets écarlates, nous accueille, dans le calme et la sérénité de son lumineux atelier, peuplé de portraits à la fois palpables et irréels.

Existe-t-il des gènes artistiques dans votre famille ? Katinka Lampe : Difficile à dire, même si deux de mes frères et sœurs ont comme moi étudié les Beaux-Arts. De toute façon, pour être honnête, ce n’était pas mon premier choix. À 19 ans, j’avais terminé une formation pour m’occuper des personnes handicapées. Mais je ne me voyais pas dédier ma vie à cela. Alors je me suis inscrite à l’Académie d’Art et de Design de Saint Joost. Pendant cinq ans, j’ai absorbé tout ce qui était enseigné en peinture : tout trouvait place en moi. Les professeurs me soutenaient. Je travaillais énormément et j’ai vite compris que mon avenir était là. J’aimais cette peinture, plane, colorée et figurative.

À quel moment les choses se sont-elles précisées ? Katinka Lampe : Disons que j’ai pris mon temps, j’ai beaucoup travaillé sans montrer. En 2000, je suis allée voir une galerie à Amsterdam qui a tout de suite pris mon travail, et rapidement organisé une exposition personnelle. Puis une nouvelle galerie a ouvert dans ma ville, à Rotterdam. Ron Mandos, le fondateur, m’a demandé de le rejoindre. Ceux qui m’avaient les premiers fait confiance, m’ont encouragée : « C’est une jeune galerie, nouvelle, tu dois y aller. » C’était vraiment très sympa de leur part parce que le monde de l’art en Hollande est plutôt restreint. Avec la galerie Ron Mandos, j’ai participé à des foires un peu partout. Mon travail se vendait très bien. Cette galerie et moi avons grandi ensemble. Aujourd’hui, je travaille aussi en étroite collaboration avec la Galerie Les Filles du Calvaire à Paris. Toute ma carrière s’est faite ainsi : lentement mais sûrement.

Avant d’être ici, vous partagiez un lieu avec d’autres artistes ? Katinka Lampe : Oui c’était dans une ancienne école, et j’avais deux classes pour moi toute seule ! Partager est un grand mot dans la mesure où j’avais peu d’échanges avec les autres, bonjour et au revoir ; c’est tout. Dans le travail, je suis très solitaire. J’ai besoin de cet espace, de ce silence, c’est mon monde. Dans ce nouvel atelier qui est au rez-de-chaussée de la maison, il existe une règle tacite entre ma famille et moi : on n’entre pas ici sans y être invité (rires).

Quelles ont été vos principales influences ? Katinka Lampe : Bien sûr, il y a Vermeer et Rembrandt. Les couleurs de Rothko m’ont imprégnée. Enfin les superpositions de David Salle m’intéressaient beaucoup. Au début, j’ai travaillé de cette façon-là, ajoutant à mes portraits des dessins. Mais cela enfermait le regardeur dans une narration trop précise. Alors je suis revenue à une seule image, pour que le public puisse se raconter sa propre histoire. C’est aussi en ce sens que je peins des portraits qui n’en sont pas. Des modèles posent pour moi et je leur demande de porter tel vêtement, tel accessoire, pour qu’ils se rapprochent le plus possible des images que j’ai imaginées au préalable, à partir de visuels de magazines, ou trouvés sur le net. À ce jeu, je souhaite qu’ils s’oublient. Ils sont alors dans un rôle qui n’a rien à voir avec qui ils sont dans la vie. Le portrait est pour moi une expression formelle. La peinture fait tout le reste. Comme disait Magritte : « Quand on peint un portrait, ce n’est pas une personne réelle, c’est seulement de la peinture. »

Quand savez-vous qu’une toile est achevée ? Katinka Lampe : Peindre est une succession de choix intimes. Lorsqu’il n’y a plus à choisir, qu’on est en accord avec ce qu’on a décidé, alors la toile est terminée. Le temps et la concentration sont les moteurs de la peinture. Je suis continuellement partagée entre sécurité et insécurité. Si vous êtes sûr de vous tout au long du processus alors vous ne ferez pas de la bonne peinture. On apprend « de » et « par » soi-même.

Les visages et les corps animés par les pinceaux experts de Katinka reposent sur des fonds parfois colorés mais toujours nus, évoquant délibérement l’incertitude, le vide autour, induisant ainsi le mystère et autorisant le devenir permanent. Ainsi, l’artiste s’inscrit dans cette démarche chère à Magritte : « Tout dans mes œuvres est issu du sentiment de certitude que nous appartenons, en fait, à un univers énigmatique. » Gageons qu’à des années de nous, l’œuvre diaphane de Katinka Lampe n’aura rien perdu de sa force et de sa pertinence.

www.katinkalampe.nl

www.ronmandos.nl

www.fillesducalvaire.com

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